Du béton recyclé, de l’urban mining dans les usines de retraitement, du béton capable de stocker du CO2 ou même du ciment "vert". Le marché du béton est en pleine métamorphose et la recherche ne cesse de progresser. C'est une bonne chose, car le changement climatique n'attend pas. En Suisse, quelques solutions sont actuellement prometteuses.
Texte : Anita Bucher
Images : Eberhard Entreprise de construction /EPFL Lausanne
Le béton, notre matériau de construction préféré, est une menace pour le climat. Dix milliards de tonnes sont produites chaque année dans le monde (1). La production de ciment génère de grandes quantités de CO2, principal gaz à effet de serre. Il faut trouver une solution, et vite. On ne peut donc que se réjouir des efforts déployés en Suisse visant à rendre le béton plus écologique.
Vers une ère des matériaux de construction circulaires
Le recyclage des matériaux de construction est l'une de ces approches prometteuses. La démolition de bâtiments génère en Suisse environ 7,5 millions de tonnes de déchets de construction par an (2). Fin septembre 2021, Eberhard Unternehmungen a ouvert le plus grand centre de traitement des déchets de construction en Suisse (EbiMIK), d'une superficie de 16’000 mètres carrés. Le cœur de l’installation est constitué de six robots intelligents qui traitent pour la première fois des matériaux de démolition non triés avec une précision élevée. Jusqu’à présent, les matériaux de démolition non triés étaient le plus souvent mis en décharge ou revalorisés dans une qualité médiocre (downcycling). La transformation de déchets de démolition mixtes en nouveaux matériaux recyclables à EbiMIK est unique en Suisse. En termes de béton, Eberhard Unternehmungen est également apte à proposer une solution.
Béton zirkulit® stocke le CO2
Depuis le printemps 2021, Baustoff Recycling Zentrum Ebirec à Rümlang propose le béton durable zirkulit®. Il se caractérise par une circularité maximale avec une consommation minimale de ressources primaires, une empreinte carbone plus faible et les mêmes propriétés statiques qu’un béton primaire. Avec moins d'un tiers de ressources primaires et plus de deux tiers de matériaux recyclés, il peut stocker environ 10 kg de CO2 par mètre cube. Le béton zirkulit® peut intervenir dans la construction de toute la maison, de la dalle de sol étanche au mur extérieur exposé à la pluie, en passant par le mur porteur, ce qui en fait probablement "le béton le plus écologique de Suisse actuellement", comme le souligne avec enthousiasme Patrick Eberhard, directeur de zirkulit SA.
«Ciment vert» de l’EPFL Lausanne
Par ailleurs, une équipe internationale de chercheurs dirigée par l'EPFL à Lausanne a annoncé début novembre avoir franchi un grand pas dans ce domaine. Elle a développé une formule de béton apte à réduire de 30% les émissions de CO2 nocives pour le climat tout en offrant la même qualité que le béton traditionnel. La nouvelle recette de béton (appelée LC3) remplace en partie le clinker (principal composant du ciment), nocif pour l'environnement, par de l'argile calcinée. L'argile ne doit être chauffée "qu'à" 800 degrés au lieu de 1400 (pour le clinker) et (contrairement au clinker) ne libère pas de CO2. Ainsi, le béton à base de ciment LC3 réduit les émissions de CO2 de 30%. La formule permet d'obtenir un béton de qualité supérieure tout en restant compétitif au niveau des coûts.
Peut-on parler de la percée de l’éco-béton ?
«Le plus gros du travail est de convaincre les quelque 2000 producteurs de béton du monde entier de l'intérêt de la nouvelle formule», déclare Karen Scrivener, professeure et directrice du laboratoire des Matériaux de Construction à l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, dans une interview avec la SRF. «C'est un travail difficile». Modifier les processus est compliqué et coûteux. Des tests doivent être réalisés, les normes de construction doivent être adaptées. Actuellement, les chercheurs se concentrent sur le marché indien, car c'est là que la production de béton est la plus élevée (après la Chine) et va encore augmenter. Les efforts portent leurs fruits : des premiers producteurs de béton en Inde proposeraient déjà le LC3. La percée pourrait aussi intervenir au niveau mondial. C'est ce que confirme l'association mondiale des producteurs de ciment et de béton : presque tous ses membres auraient annoncé leur détermination de porposer à l'avenir des produits LC3 - le groupe suisse Holcim en fait également partie.
Lamelles précontraintes pour les bâtiments anciens
A l'Empa à Dübendorf, les chercheurs se focalisent actuellement sur une toute autre approche. En renforçant des constructions en béton existantes, ils veulent éviter leur démolition. Développée il y a plusieurs décennies, la technologie est basée sur le renforcement de la durée de vie d'un ouvrage en béton par le collage de plastique renforcé de fibres de carbone (PRFC). Cette méthode a été utilisée pour la première fois en 2018 pour la rénovation d'un pont à Küssnacht. Les chercheurs poursuivent maintenant le développement de cette méthode, car le potentiel est important : les expériences menées en laboratoire montrent que la capacité de charge d’une dalle de béton pourrait être améliorée de 77%. Si les chercheurs parvenaient à commercialiser cette technologie, la Suisse offrirait certainement un marché important : chaque bâtiment susceptible d'être rénové au lieu d'être reconstruit permet d'économiser non seulement des coûts, mais également une grande quantité de CO2.
Zéro émission nette jusqu’en 2050
Revenons à la production du ciment. Aussi bien l'Association suisse de l'industrie du ciment (cemsuisse) que l'Association mondiale de l'industrie du ciment et du béton (Global Cement and Concrete Association, GCCA) se sont engagées à respecter les objectifs de l'accord de Paris sur le climat. Il est alors évident que les émissions de CO2 du ciment doivent être réduites à zéro d'ici à 2050. Un point positif : les choses bougent sur le marché suisse et dans la recherche. Reste à savoir à quelle vitesse les progrès vont avancer.
(1) SRF, Einstein, 14.11.2021
(2) Entreprise Eberhard AG